En cette froide soirée d’hiver, Westouter est remplie de voitures. Les spectateurs déferlent dans la salle Utendoale, un espace de rencontre au cœur du village. Ce soir, c’est la fête : ici, on boit un verre avant le spectacle, pendant l’entracte et après la représentation.
“La communion” voilà le nom de la pièce de théâtre. Nombreux étaient ceux qui se réjouissaient d’assister à la représentation : plus une chaise libre dans la grande salle. « Est-ce que je vais tout comprendre ? » me suis-je inquiété lors de la réservation. « Si vous me comprenez, ça devrait aller » me répond la voix au téléphone avec un savoureux accent de Flandre occidentale.
Autour de moi, dans la salle, des couples, des familles, jeunes et vieux. « Bienvenue, nous allons commencer, veuillez éteindre vos GSM » les mots d’accueil sont sobres juste avant que les rideaux –rouges- ne s’ouvrent.
L’action de “La communion” se déroule dans les années 70. Le décor est simple : dans un intérieur flamand classique, une longue table de salle à manger. Au milieu, le communiant, de part et d’autre les oncles, tantes et voisins. Nous assistons à la fête, de la soupe au plat principal, en passant par les oncles « qui vont faire un petit tour dehors » jusqu’aux petites heures lorsque la réception se termine. Les dialogues sont populaires.
“J’ai un portefeuille en oignon : quand je regarde dedans, je pleure” ou “ Sur une jambe, tu ne peux pas tenir debout” quand la énième bière est décapsulée. Les clichés et dictons articulent l’histoire. Et c’est au goût du public : on regarde, on écoute, on sourit et on éclate carrément de rire. « Une soirée théâtrale amusante et agréable » tel était le pronostic et il s’avère juste : un divertissement sans prétention.
L’utilisation de la langue est passionnante : un mélange étonnant de mots français et de Flandre occidentale. Et c’est le cas depuis les années 5O : cette langue est parlée dans cette région et comprise des deux côtés de la frontière sans doute essentiellement par une population plus âgée.
C’est avec “ Et où l’étoile s’arrêta” que le théâtre populaire, issu du groupe théâtral « De Verbroedering » (La Fraternité) a démarré avec une représentation en 1954 à Westouter suivi d’une représentation, en janvier 1955, à Saint Jans Cappel juste au-delà de la frontière. Suivirent Boeschepe, Steenvoorde et Abele. Flor Barbry en a été pendant des décennies la cheville ouvrière : directeur, régisseur, acteur et auteur. Il est décédé dans les années 80 et la troupe a décidé de garder, en hommage, son nom.
« La vie c’est comme le théâtre : ce qui importe ce n’est pas le temps qu’elle dure mais ce s’y déroule » est une de ses citations. Le théâtre populaire reste très familial avec les Barbry à la direction, sur scène et en coulisses.
Le calendrier des représentations est bien rempli. Au printemps, la troupe se produira à Ypres, Houtkerque, Furnes, aux Monts des Cats, à Ghyvelde, Bambecque, Noordpeene et bien d’autres localités de Flandres Française et de Flandre Occidentale. La tournée du Théâtre populaire se poursuit depuis près de 70 ans : elle reste un visiteur apprécié dans pas mal de salles des fêtes et de centres culturels. L’objectif de maintenir vivant le dialecte reste pertinent.
La région de Hauts de France a montré un intérêt particulier pour cette langue spécifique. En mars 2018, les élus ont décidé de créer un « Office public du flamand occidental » sur base de la promesse électorale du président du conseil régional, Xavier Bertrand. A l’instar de la Bretagne, la région souhaite voir comment soutenir ce dialecte.
Sur scène, les acteurs poursuivent vaillamment. A la fin de la représentation, subsistent les vieux clichés des hommes qui boivent, qui ont du mal à rentrer chez eux, qui racontent des blagues grasses, des femmes qui rouspètent et d’un homme qui se fait mener à la baguette.
“Se taire et manger” disaient-ils au début lorsque le communiant était rappelé à l’ordre. Les femmes amènent la nourriture, se sentent peu valorisées et lancent des « piques ». Ça s’énerve, ça se déchire et à la longue ça fait rire. Je suis aspiré par l’atmosphère de la salle. C’est un voyage dans le temps, à bien des points de vue. Je suis heureux d’y avoir participé… Et si j’ai éveillé votre curiosité allez le constater par vous même…
Bart Noels